Opinion By Marie-Joëlle Zahar 1017 Views

Pour un véritable investissement en politique étrangère

Alors que le dernier Livre blanc de politique étrangère canadienne remonte à 2005, les changements du monde nécessitent pourtant un investissement urgent en politique étrangère : budgétaire, certes, mais aussi intellectuel et stratégique.

L’ordre multilatéral est assailli de toutes parts. La montée en puissance de la Chine et les provocations d’une Russie mécontente du statu quo paralysent le Conseil de Sécurité de l’ONU. Prenant exemple sur les grandes puissances, plusieurs États d’influence régionale adoptent la politique du fait accompli et privilégient l’usage de la force pour arriver à leurs fins, comme nous l’avons récemment vu au Myanmar ou en Éthiopie.

Alliances et valeurs fragilisées

Dans un monde où le nationalisme reprend du dessus, les alliances inconditionnelles nées de la Deuxième Guerre mondiale et de la Guerre froide semblent moins stables qu’il n’y paraissait. La politique «America First» du Président Trump a eu un impact indéniable sur les relations économiques entre Ottawa et Washington, comme les péripéties de la négociation de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique l’ont souligné. Si les relations avec notre voisin du Sud se sont améliorées depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, le patriotisme économique de son prédécesseur n’a pas été mis au rancart. Celui-ci demeurera une pierre d’achoppement dans les relations entre les deux pays.

Les valeurs que le Canada défend sont également remises en question. Qu’il s’agisse de l’égalité des genres, de la démocratie ou des droits de la personne, chacune des valeurs canadiennes nous a récemment valu des tensions, voire des crises de politique étrangère. Plusieurs d’entre elles impliquent non pas des «ennemis» mais des alliés ou, à tout le moins, des partenaires de défense et de sécurité. Qu’il s’agisse des tensions avec l’Arabie saoudite, deuxième marché d’exportation en importance du Canada au Moyen-Orient, ou de la décision de la Cour fédérale d’invalider l’accord de 2004 en vertu duquel des réfugiés ne pourraient demander asile au Canada s’ils avaient d’abord transité par les États-Unis, ces tensions soulignent la difficulté grandissante de conjuguer les impératifs de sécurité, la prospérité et les valeurs canadiennes.

Vent d’unilatéralisme

La coopération internationale et le multilatéralisme qu’Ottawa privilégie pour faire face aux défis mondiaux sont aujourd’hui remis en cause par l’unilatéralisme. Dans nos relations avec notre voisin du Sud, Ottawa, mais également Québec, devront redoubler d’ardeur pour faire valoir l’importance de la collaboration canado-américaine et de la relation transatlantique. Malgré de timides expressions de solidarité, Ottawa n’a pas pu compter sur ses alliés dans la crise qui l’a opposé (et l’oppose toujours) à la Chine suite à l’affaire Huawei et à la détention arbitraire de deux citoyens canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor, par Beijing.

Plus récemment, le nationalisme vaccinal a également souligné les limites du multilatéralisme et de la coopération. Il y a de quoi se questionner sur la lutte aux changements climatiques, mais aussi ce qui se passera dans l’Arctique où Russie et États-Unis ont des intérêts stratégiques et économiques, et que le réchauffement climatique rend de plus en plus aisément accessible.

Être à la hauteur des défis

Si les bouleversements du monde n’émeuvent pas tous les Canadiens, ils devraient le faire. Le récent budget du gouvernement Trudeau et la consultation menée par Affaires Mondiales Canada sur la politique féministe du gouvernement ne sont pas à la hauteur des changements auxquels le pays devra probablement faire face.

Dans ce contexte, des instituts comme le Conseil International Canadien lancent des chantiers de réflexion citoyenne sur le sujet, estimant que les questions de politique étrangère doivent plus que jamais être discutées en public. C’est aussi l’objectif du Forum St-Laurent sur la sécurité internationale, une initiative entièrement francophone organisée par l’UQÀM, l’Université Laval et l’Université de Montréal, alternant normalement entre Québec et Montréal, mais dont la sixième édition se déroule en ligne du 3 au 7 mai.

Dans un contexte où les défis sont de plus en plus complexes, où les solutions le sont également, et où notre prospérité, notre sécurité et nos intérêts ne sont plus aussi facilement conciliables qu’ils l’étaient, il est urgent pour les citoyens comme pour le gouvernement de réfléchir à une politique étrangère canadienne pour le 21e siècle. Et d’investir les sommes nécessaires pour la mener à bien.