Personal Finance By Alec Castonguay 1606 Views

Vers le plus important surplus budgétaire de l’histoire du Québec?

Ça peut paraître surprenant, mais les gouvernements n’aiment pas trop parler des surplus qui s’entassent dans les coffres de l’État, même si la bonne santé financière du Québec est en soi une bonne nouvelle. Pourquoi? Parce que les surplus suscitent des convoitises, animent les groupes de pression en tout genre et attirent les critiques de ceux qui estiment que le gouvernement avait les moyens d’être plus généreux.

C’est ce que vivra le gouvernement Legault dans environ un mois: un bonheur budgétaire qu’il tentera de dissimuler un brin afin d’éviter les malaises. Parce que de l’argent, il n’y en a jamais eu autant dans la machine étatique, gracieuseté de la bonne tenue de l’économie et des sacrifices (ou de la discipline, c’est selon) imposés par le précédent gouvernement libéral.

Ça fait quelques semaines que j’entends, de différentes sources au sein du gouvernement et chez les fonctionnaires, qu’il y a plus d’argent cette année que d’endroits où le dépenser. Le dernier budget de Carlos Leitao était particulièrement généreux — le gouvernement a ouvert les vannes d’un coup en année électorale, avec une machine étatique affamée depuis des années et parfois incapable de digérer une forte hausse rapidement — et parce que la campagne électorale ralentit toujours les dépenses, plusieurs projets étant en mode «attente».

De nouveaux chiffres viennent confirmer les rumeurs.

L’Institut du Québec, un organisme indépendant et sans but lucratif né de la collaboration d’HEC Montréal et du Conference Board du Canada, a fait une projection des surplus budgétaires pour l’année financière 2018-19 qui se terminera le 31 mars prochain.

Plutôt qu’un surplus estimé à 1,65 milliards de dollars lors de la mise à jour financière de l’automne dernier, l’Institut du Québec estime que ce dernier tournera plutôt autour de 4,6 milliards de dollars. C’est la moyenne de leur projection, puisque le scénario le plus conservateur se chiffre à 3,4 milliards de dollars de surplus, et le plus optimiste, à 5,9 milliards de dollars. Et ce, après avoir versé la somme record de 2,49 milliards de dollars dans le Fonds des générations, tel que prévu.

La Loi sur l’équilibre budgétaire impose au ministère des Finances de calculer le versement annuel au Fonds des générations comme étant une dépense. Or, en réalité, cet argent n’est pas dépensé. Il sert d’actif pour diminuer la dette. C’est un choix politique que d’attribuer de tels montants au remboursement de la dette: un parti pourrait décider de modifier les sommes en cause ou même faire autre chose avec ces montants. Donc, à mon avis, pour avoir une véritable idée de l’ampleur du surplus budgétaire, il faut ajouter ce montant au total.

Selon l’Institut du Québec, le surplus budgétaire 2018-19 oscillera donc entre 5,9 et et 8,39 milliards de dollars, avant le versement au Fonds des générations. Ce pourrait être le plus important surplus budgétaire de l’histoire du Québec!

Voici, dans le tableau suivant, les chiffres les plus récents du gouvernement du Québec (l’ère des surplus Ã©tant récente, seules les dernières années ont été répertoriées dans le tableau). Le surplus le plus plantureux de l’histoire a été enregistré l’an dernier, avec 4,9 milliards de dollars — en incluant le versement au Fonds des générations.

Surplus budgétaire du Québec depuis 2005

*pour 2018-19, il s’agit de la projection actuelle du gouvernement.

Depuis la mise à jour financière de l’automne, tous les indicateurs continuent d’être au vert, estime l’Institut du Québec, de sorte que la situation budgétaire du gouvernement continue de s’améliorer.

Dans le tableau suivant, préparé par l’Institut du Québec, on voit clairement que le surplus budgétaire des huit premiers mois de l’année financière (ligne bleue) surpasse celui de l’an dernier, année record.

Source : Institut du Québec

Bien sûr, le gouvernement peut changer de trajectoire d’ici la fin mars et se mettre à dépenser davantage ou à offrir des baisses d’impôt ou de taxes, se privant ainsi de revenus, ce qui ferait diminuer son surplus budgétaire. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit l’an dernier, en 2017-18 (ligne jaune). Vous voyez la chute abrupte de février à mars? C’est environ 1,3 milliard de dollars que le gouvernement Couillard a choisi de dépenser à la dernière minute, dans des programmes souvent non récurrents, ce qui a fait chuter le plantureux surplus, qui s’annonçait titanesque. Après avoir freiner de manière importante les dépenses dans la première moitié de son mandat, le gouvernement Couillard, à la veille des élections, s’est probablement dit qu’afficher un excédent aussi important ne serait pas du meilleur effet…

Dans ses projections, l’Institut du Québec a pris en compte que, bon an mal an, les dépenses en éducation et en santé ont tendance à s’accélérer dans les trois derniers mois de l’année financière. Donc, même si la ligne bleue de 2018-19 ne suit pas une tendance aussi fortement à la hausse dans les prochains mois, le surplus a tout de même de fortes chances d’être plus élevé que celui de l’an dernier, et donc, de fracasser un nouveau record.

Les besoins étant illimités, et afficher un trop gros excédent n’étant pas politiquement souhaitable, comme je l’expliquais plus haut, il n’est pas impossible que le gouvernement Legault imite, d’une manière ou d’une autre, le précédent gouvernement Couillard dans les dernières semaines de l’année financière et dépense plus que prévu, ce qui ferait baisser le surplus budgétaire. Le ministre des Finances, Éric Girard, a d’ailleurs déjà dit vouloir procéder à quelques dépenses de dernière minute. Reste à voir l’ampleur.

Mia Homsy, la directrice de l’Institut du Québec, a déjà été la chef de cabinet adjointe du ministre des Finances Raymond Bachand. Elle était responsable de suivre… l’évolution du budget. Bref, elle en connaît un rayon sur le sujet. Elle s’attend à ce que le gouvernement dépense un peu plus d’ici la fin mars pour faire diminuer ses surplus. «À l’Institut, on a voulu faire un exercice de transparence, pour montrer au public à quoi ressemble le véritable état des finances publiques maintenant. Le gouvernement Legault fera ensuite des choix politiques avec sa marge de manoeuvre», dit-elle en entrevue avec L’actualité.

Difficile, avec ces montants, de départager ce qui est un excédent récurrent de ce qui est une manne ponctuelle, précise-t-elle. N’empêche, même si c’est «une bonne nouvelle» que d’avoir un budget excédentaire, le gouvernement devra faire face à un beau débat politique. «Qu’est-ce qu’on fait avec cet argent? Certains vont demander des baisses d’impôts, d’autres, des investissements en éducation ou en santé… Et si on veut investir dans les grandes missions de l’État, est-ce qu’on a le personnel pour y arriver, alors qu’on manque de monde en santé et en éducation pour combler les postes disponibles?», dit Mia Homsy.

De bonnes questions, pas de doute. Et combien faut-il en mettre de côté pour les jours plus sombres, lorsque l’économie va ralentir et ainsi entamer le budget? Il y a déjà 8,8 milliards de dollars dans la réserve de stabilisation. Jusqu’où faut-il se rendre?

Une chose est claire: le gouvernement Legault, contrairement à ses prédécesseurs, démarre son mandat sur des eaux favorables. La tempête économique, sous la forme d’une récession, pourrait se pointer le bout du nez dans les prochains mois/années. Mais en attendant, difficile de ne pas constater, plus important surplus de l’histoire du Québec ou pas loin, que François Legault a les moyens de ses ambitions.

Les réponses dans le budget qui sera déposé au mois de mars.